Correspondance de 1915

Jean-Baptiste et Marie, 1915                                                                              
Retranscription de Marie Simard.
Veuf, le marchand de bois ulricois Jean-Baptiste Roy a entretenu un échange épistolaire, bref mais soutenu, avec Marie Simard, jeune institutrice de Price. Ils se sont mariés l’année de leur rencontre. 

Roy Jean-Baptiste
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1re Lettre
 
17 fév. 1915. 
 
Ma chère Marie : 
            Je suis rendu à destination à dix heures. Je ne monterai au bois que demain ou peut-être que Lundi prochain. J’ai trouvé beaucoup d’ouvrage imprévu au bureau; peut-être même, serai-je obligé de voyager un peu à la fin du mois pour régler nosaffaires de vente de bois; mais toutes ces choses ne peuvent t’intéresser beaucoup, et sont secondaires. Laisse-moi maintenant te remercier de tout le bonheur que tu m’as procuré, pendant ces deux veillées, trop courtes hélas que j’ai passées auprès de toi; Oui; chère Marie, tu as pansé les plaies de mon pauvre coeur bien meurtri par les lourdes épreuves que Dieu m’a fait envoyer pendant ces dernières années; Je n’en revenais pas; quoimoi, je retrouverais sur cette terre, le bonheur sans mélange que j’ai goûté pendant onze années! Je tremble presque à cette pensée, car vois-tu je désespérais tant de ne plus y goûter, que je crains d’avoir fait un beau rêve; je prierai Dieu de ne pas m’oter cet espoir; puisses-tu ne pas regretter les belles paroles que tu m’as dites, c’est à ce prix que sera mon bonheur futur et celui de mes chers petits –
 
            Ma chère Marie, je ferai tout mon possible, pour écarter de ton chemin, les épines qui pourraient s’y trouver, mais ce que je te promets, c’est une affection sans bornes, une fidélité en tout et partout, sachant que tu t’abandonneras à moi en toute confiance, me laissant voir tous les replis de ton coeur bon et affectueux; tu as peut-être trouvé que j’ai été un peu sans-gêne dans ces quelques heures? pardonne-moi si j’ai pu blesser ta délicatesse; L’amitié seule à pu me pousser à cette intimité; j’ai tant soif de bonheur, d’affection et de caresses, que je n’ai pu me maîtriser; mais j’en suis bien puni aujourd’hui, va, puisque je n’aurai pas le bonheur de te voir d’ici à plusieurs jours; je ne croyais pas vraiment, que je m’ennuierais autant; je ne suis donc pas rassasiable? Il y a deux jours, j’aurais été heureux si j’eusse eu une bonne parole de toi, et voilà qu’aujourd’hui je voudrais te posséder, t’avoir près de moi à jamais, ce désir se réalisera-t-il? Je l’espère. 
 
            Comment pourrais-je jamais vous payer pour tant de générosité de votre part; car je le sais, il vous faut un coeur bien généreux pour accepter de venir partager ma vie; que de sacrifices vous serez obligée de faire à tout instant; vous ne l’ignorez pas, la vie conjugale est remplie de ces sacrifices et ils sont certainement plus grands pour vous, vu la position où je vous me trouve; pensez bien à toutes ces choses, ma chère Enfant, avant de prononcer le mot à la fois si doux et si terrible, qui nous unira à la vie, à la mort; voyez si je suis digne d’unir ma destinée à la vôtre, ne me croyez pas trop bon; j’ai des défauts (ils sont nombreux) qu’il vous faudra supporter avec résignation; Je vous voudrais tant heureuse que je sacrifierais mon propre bonheur, si, il devait un jour faire votre malheur. 
 
            Prions bien Dieu tous les deux qu’il nous éclaire, qu’il nous donne des grâces de vivre comme de bons époux, et espérons en sa divine Providence.
 
            J’espère que vous êtes en parfaite santé et que vous allez vous reposer des quelques fatigues que je vous ai imposées; je m’aperçois que je suis après t’appeler vous; n’est-ce pas que toi est plus affectueux? Qu’en dis-tu? 
 
            Je compte recevoir une longue bien longue lettre, qui m’apporte tes véritables sentiments à mon égard; ouvre-moi bien large ton bon coeur que j’y puise la joie et le bonheur de ma vie; que tu t’abandonnes complètement à moi. Sans arrière-pensée.
 
            Je vais terminer car le train s’en vient. Salue bien Madame ta mère et Mlle Alice. Je te presse bien fort contre mon coeur et t’embrasse mille fois. 
                                                                                              Ton ami sincère –
                                                                                                          J. B.

Marie Simard
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Réponse 
19 février 1915. 
 
Mon cher ami : 
            Je ne saurais t’exprimer le bonheur que j’ai éprouvé en lisant ton affectueuse missive, et comment mon coeur a tressailli de joie à ton Souvenir!……… 
Tu me dis de trop bonnes et belles choses qui m’enivrent l’âme d’un parfum d’ambroisie, et mieux vaudrait que je meure plutôt que de ne pas répondre à tant d’affection. Je m’empresse, donc, de venir te distraire, te fortifier dans cet état de faiblesse et d’ennui où je te vois. Que je m’estime heureuse de te faire du bien; aussi je m’en vais te donner tout ce que je pourrai de doux et de consolant! ……….. 
            Oui, mon chéri, je veux t’épancher, doucement, le trop plein de mon coeur, et ce sera un véritable bonheur pour moi de te raconter mes joies et mes peines, mes désirs, mes aspirations, etc…. et de lire tes bonnes lettres qui me donneront 
viendront me donner l’illusion d’être tout près de toi, toujours! 
            Merci de ta confiance, oui, crois en moi comme je crois en toi, C’est si doux, si bon, croire, avoir confiance! 
            Tu me dis que tu t’ennuies, encourage-toi, mon cher, en pensant que cet ennui m’assiège continuellement depuis ton départ. Les heures d’extase et de bonheur que donne l’amour; je les ai connues pendant nos causeries intimes, lorsque nos âmes vibraient des mêmes sentiments, du même rythme amoureux. Quelle ivresse de sentir un coeur tendre et fort tout à Soi, un coeur qui sait comprendre le nôtre et l’aimer. 
            Comment je me réjouis du bonheur que je t’ai procuré, d’avoir fait briller, dans le ciel sombre que te font les tristesses et les amertumes de la vie, un éclair splendire dont les rayons ont porté dans ton âme, une consolation pour le présent, une espérance pour l’avenir. 
            Oui; mon cher J. B….. Aie confiance en l’avenir, le bon Dieu doit te réserver des jours heureux. Attends et espère en ces jours meilleurs!!……
            Et, si toutefois, quelques nuages viennent, encore, obscurcir ton horizon, raconte-moi tout, et j’essaierai de les dissiper, d’illuminer ce ciel assombri depuis si longtemps par les dures épreuves, par les déchirements du coeur. 
            Je sais que tu seras expansif envers moi, et que tu épancheras ton pauvre coeur dans le mien qui sait si bien le comprendre et, comment nous goûterons ainsi les bienfaits de l’amitié. 
            Tu ne saurais croire, mon bien-aimé, comme je pense à toi, je réfléchis, je rêve à cet avenir que je voudrais si rose de la couleur de mon rêve… 
            Mais si Dieu y dessine quelques fleurs pourpres…. fleurs divines de la souffrance qui épure….. il n’en sera que plus beau et meilleur. D’ailleurs, n’aurais-je pas ta main loyale, pour m’aider à les cueillir courageusement ces fleurs de sang? Forte de l’appui de ton bras robuste, forte surtout de ton amour, je ne craindrai pas les épines…..
            Il sera bon, il me semble, d’aller à deux dans le chemin difficile de la vie. 
            Je répondrai à l’affection et à la fidélité que tu me promets, en me montrant toujours bonne pour supporter tes imperfections, bonne pour t’aider à devenir encore meilleur, bonne pour tes chers enfants que j’aimerai comme les miens puisqu’ils sont les tiens. 
            Puisque le bon Dieu me choisit pour en prendre soin, je remplirai ma tâche avec dévouement, avec zèle, en m’appliquant à les élever chrétiennement et en montrant pour eux beaucoup d’affecton. 
            Et toi, je promets que je t’aimerai toujours de cet amour qui ne se définit pas, mais qui se ressent, qui se devine, qui t’enveloppera tant…
            Et alors, elle sera bonne et douce, notre vie, malgré les épreuves que nous y trouverons. Les épreuves? Mais ne serons-nous pas deux pour les supporter? Les souffrances et les mille tracasseries de la vie? Mais notre amour ne sera-t-il  pas là pour nous soutenir, nous donner du courage, du coeur à la besogne?….. 
            Donc, courage mon cher, et espère en l’avenir. Continuons à prier beaucoup avec l’espérance que le Seigneur nous comblera de ses grâces. 
            Je ne t’oublie pas dans mes prières, surtout dans mon colloque intime avec Jésus-Hostie, je lui ai demandé pour toi, ce matin, toutes sortes de bonnes choses. De ton côté, prie bien fort pour moi, j’ai confiance en tes prières. 
            Il est bien temps que je m’arrête et trouves-tu que j’ai été assez longue; mon coeur aurait encore des choses à te dire, mais il faut bien que je m’arrête
fasse trève à cette longue épitre, car il se fait déjà tard dans la nuit. 
            Je te laisse en t’embrassant bien fort, reviens-moi vite dans une longue réponse; Je brûle d’impatience de te lire. 
                                    Crois à la sincère affection de 
                                               Celle qui est toute à toi de coeur —
                                                                       Marie –

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