Dialogue épistolaire

Texte de Louis-Philippe Cusson

Lui
J’acquiesce, je me tends, je douleur-e
j’épouse le non-dit, je bas la chamade, le repos clouté
les diasporas de ton rivage, les gestes flous
je respire et laisse choir mes paupières las
j’hébétude d’ivresse et d’étreintes
depuis, plus rien, qu’un effleurement…
 
qu’un souvenir…
 
Elle
Tout n’était que crépitements de lumière et spasmes souverains, la veine haletante, la lèvre bleutée, nous en étions là, juste un peu plus d’absence, comme des rescapés de la mémoire…
 
Lui
Doloroso, quand tu me seringues, quand tu me taillades, je sens ma dure-mère se fissurée. J’apprivoise.
 
Elle
Perte des eaux et chemins de sentinelle des âmes, des dieux se taisent. Nous aurons des arabesques sous nos ongles, des tonnes de convenance dans nos pâles excuses. Souffle court, regard étoilé…
 
Lui
De ce chaos nous feront des confettis de chair et de douceur, nourrissant nos plages infinies d’étreintes soliloques. Tout n’est que départ, que quai de gare d’adieux qui écorchent, sans mot, comme un fard noir sur nos paupières de conversations avortées… 
 
Elle
Que dire de plus. Des gestes du quotidien qui lancinent, des hasards qui ne laissent rien. Des parfums qui chagrinent, des bateaux d’incertitude qui tanguent sur nos déceptions, frayant de souvenir en tenue de soirée.
 
Lui
Ton visage triste semblait sortir d’une longue prise d’otage où tu avais eu le temps de compter tes cicatrices, où le manque t’avait été interminable. Un séjour de nuit d’encre, sans tendresse ni blessure.
 
Elle
Donnons-nous des ailes, donnons-nous des grincements de peaux et de jointures. Cherchons la faillite de nos pâles matins et les soubresauts de nos corps encore chauds. Puisons dans nos ego de pacotilles et nos combats en port à faux. Pause. J’irai me reposer. J’irai me déposer. Puis, non. Je marcherai dans l’aube, besace de verbes à bout de bras, chemise tranquille et regard pyromane. J’irai. Simplement.
 
Lui
Nos chevaux fatigués, nos herbes folles, tous donnait un signe de vie, il n’y avait pas l’ombre d’un doute. La noirceur formulait ses détours, les corbeaux veillaient, tu étais enfin endormie après avoir longuement tenté de conter tes séjours tunisiens, thé brulant sur table de verre, laissant des cernes et des miettes de rivages écarlates. Demain allait être mieux. Malgré.
 
Elle
Acculé par la mer, je humais le fond de mon verre comme un chien cherche son os enterré de la belle saison. Miaulant mon désarroi, seul, poivré d’ivresses maladroites me glissant des mains. Mes fantômes me happaient, susurrant des insanités, maudissant toutes les lunes du monde. J’avais soif de poussières, j’avais faim de chaleur humaine, j’éternisais mes nuits… Comme une autopsie de nos déboires, léchant nos fragments d’amour dans ses moindres.
 
Lui
Comme si nous devions assurément grandir de tout cela. Avec certitude, éloquence, nous criâmes de singulières ecchymoses. Nos pas allaient vers la carte déchiquetée de nos envies, affublé de quelques. On aurait dit le Gange qui tentait de sortir de nos veines charbons, de nos ventres truffés d’héroïne. Port de nulle part, amarrage difficile, pourtant. Point d’inaptitude sculpté de négligence, offrande tremblotante et sombre comme un destin insolite. Je titubais sous l’endorphine.
 
Elle
Nous aurons des génuflexions devant les champs de mines, de mauvaises herbes en bouquet pour ne pas oublier. Nous aurons des certitudes au grand vent, des situations sans provocation, des encensoirs de salives et des bénédictions d’apothéose. Dormir. S’échouer d’épuisement.
 
Lui
Esperanza. Avant de noyer nos aquarelles dans le stupre et les conversations en sourdine. Avant que l’expiation des corps ne soit ce qui nous reste, avant l’oubli des ventres humides, les algorithmes du sad core, le baiser blessure, la main craquelée et les artères gonflées de déserts et de lever du jour… 
 
Elle
Puis, il y a l’autre, du bout des yeux, comme sa propre déchirure, sans ses oripeaux, sans maquillage. Assoupie, avec quelques spasmes de plus en plus espacés… un sourire en coin sur son visage. Toi.
 
Lui
Raconte-moi le tsunami qui, chaque fois, te remonte en corps à corps jusqu’à l’agonie des sens. Dis-moi encore que les mots ne sont pas inutiles. Qu’ils mettent en écrin la douleur, mais aussi des parcelles de bonheur. 
 
Elle
Cheveux mêlés, odeur de cendres et de Kumbha Mela, les eaux du fleuve portaient des prières et des souvenirs insaisissables. Longtemps déjà, cette dernière soirée où j’ai croisé ton regard fuyant, où l’apocalypse se lisait dans nos verres vides. Cette disparition longuement préparée désignait l’abandon. Chaviraient quelques certitudes. Annonçant l’hiver et ses vents d’âmes.
 
Lui
Dans la fosse commune de nos ébats, de nos étonnantes ablutions, de tant de jours cadavres et de nuit rédemption, sans reproche, sans limites, avec juste ce qu’il faut d’humilité et de courage. Tu. M’étonne. Bonjour la tendresse. Comme on lève le calice à hauteur de déjà vu. De bijoux clinquants aux poussières d’étoiles laissées par la faim du lendemain. De nouvelles tranchées dans nos cheveux champ de bataille. Du sang dans nos yeux écarlates d’aube exutoire. Mots salés.
 
Elle
Dans nos ivresses et nos malheurs noircis, j’irai te chercher en limousine feutrée, en dièse inachevé, en dromadaire triste, en volontariat éreinté, fleurs à la main, du bout des yeux, pudique comme une volée d’oies sauvages. 
 
Lui
Un livre qui s’ouvre c’est un esprit qui s’envole…
 
Trop occupé à mesurer l’absence, j’en oubliais le chemin qui me mènerait à toi. Qui me donnerait accès à la quintessence de ton être. 
 
Nous n’étions jamais allés plus loin que demain. Je me sentais soudain comme un bouton de chemise en exil, loin de l’apaisement, loin de comprendre. Doux-amer. Comme si nous avions tout mangé, même l’âme et les os. Repus de l’autre. Avec ma tête en feu de forêt et ton regard en marée douce, nous avions juste ce qu’il faut. Un chouia de bonheur dans un souffle de tempête… des brèches d’où s’écoulent les mots perceptibles, les pleurs de joie, les rires en sourdine, les talismans qu’on ne veut pas perdre.
 
Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime.

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